Octobre 2015, je pars en atelier d'écriture au "Bout de la Langue".
J'aime ces moments où le temps s'arrête, où des consignes s'enchaînent avec comme par magie un texte qui en naît.
Le temps d'un texte, je suis une femme de 37 ans, célibataire, ayant du charme et plutôt sociable, faisant des relevés climatologiques et travaillant actuellement au Groenland.
Me voilà aux côtés d’un nourrisson, étrangère à ce petit humain de plus sur Terre, imperméable à toute émotion maternelle, juste le sentiment d’être une ethnologue devant une espèce vivante inconnue.
Il bouge. Sous les paupières des bruissements secrets. Quelques sons, des vagissements dit-on. La peau est ridée mais se tendra rapidement pour un jour redevenir ridée. Mon regard parcourt ce petit bout d’homme, intensément, curieusement. Ses mains entrent alors en action malgré lui dirait-on. Mains potelées qui me captivent, mains miniatures qui m’interpellent.
De combien vont-elles grandir ? - Combien chausse une main ? – pourquoi je ne le sais pas ? Quand j’achète mes gants fourrés, je ne dis pas je fais du 40. J’essaye, c’est tout.
Main avec des doigts, doigts avec phalanges, et au bout des doigts, ongles.
Ongles ?
Oui, ongles petit nourrisson. Cela s’appelle ongle. Ça pousse et ça repousse. Tu peux le manger mais c’est mal et ça fait mal. Tu peux le vernir et séduire.
Et ça sert à quoi vas-tu me demander ?
Ben franchement, à ton âge je ne sais pas. Tu n’es qu’un tout petit bout d’homme. Tu vois, moi-même je constate que dans certaines situations cela ne sert à rien et même peut faire mal.
Ah ah, tu veux un exemple petit d'homme ; oui, oui, je le vois. Tes mains, tes jolies mains, tes mains miniatures battent l’air et quémandent une réponse.
Alors voilà, là où j’habite en ce moment, il fait très froid, très très froid et mes ongles peuvent mourir de froid.
C’est quoi mourir ?
© Marie-Pierre Deloeil