Je ne connaissais pas cette autrice. Je savais juste qu'elle avait chamboulé le paysage dramaturgique, qu'elle s'était suicidée jeune, qu'elle avait une écriture radicale. J'avais hâte de la découvrir.
Radicale, en effet ! Je n'ai pas réussi à lire Manque, l'œuvre que j'ai étudiée. Trop de désespérance pour moi, trop de paroles perdues dans le vide. Il n'y a plus de personnages, juste des voix distribuées avec des lettres.
Cette fois-ci, je fis l'exercice d'écriture en petit groupe. Nous avons improvisé à voix haute pendant que l'un d'entre nous écrivait nos paroles. Nous avons ensuite distribué les paroles.
Y : Trois ou six ?
E : L'important c'est d'être ensemble. Oui. J'arrive les filles !
V : A genoux, pour s'excuser !
I : Moi je ne comprends rien
X : Laisse toi faire
N : Arrêtez
E : On se concentre ; instant présent
Y : J'ai envie de douceur
I : J'ai besoin de douceur
X : Pour quoi faire ?
V : Pour revivre et baiser le désir.
E : Tu as de beaux yeux tu sais
N : Merci, c'est bien plus que ça
I : Pourquoi ça ne m'est pas adressé !
N : Mais toi aussi, hein
I : Pourquoi tu dis qu'on est trash ?
N : Moi j'ai dit ça ?
X : Tu as même dit qu’on était l'espèce la plus trash
V : Non, la plus dangereuse
I : C'est vrai
Y : Le danger vient de nous, que de nous
N : Pas d'accord, on leur fait peur je crois
Y : La douceur, c'est la douceur la solution
V : Ou le silence
I : Ou arrêter d'avoir des enfants
X : Je suis d'accord, extinction naturelle
E : Bande de salopes
N : Bande toi-même, vilaine. On dit que la vérité
V : Et si tout commençait maintenant ?
E : J'aimerais bien
X : Ça veut dire qu'on se sépare ?
Y : C'est peut être nécessaire
I : On aura plaisir à se retrouver... ou pas
X : Quand ça ?
I : Tu aimerais bien toi ?
Y : Pas avec vous
E : C'est bien ce que je pensais
X : Alors ta gueule. Moi, je me laisse faire, et toi ?
I : Menteur.
X : Moi, je me laisse vivre
Y : Tricheur
E : Alors, on y va, on se sépare ?
N : Allons-y
V : Vraiment ?
X : Oui, non, oui
I : Et bien non
X : J'ai peur, j'ai hâte, j'ai envie, je trouille
V : Peut-être que ce sera mieux qu'ici
N : C'est trop tôt, je ne tiendrai pas si c'est plus loin
E : C'est encore loin ?
Y : Je crois
X : Et toi tu en penses quoi ?
I : De la douceur, de la douceur
X : Avec du sable dans les yeux. Ça pique
E : Et le cul en l'air. Un cimetière d'autruches, la tête dans le sable
Y : Ou dans une tombe
I : Stop et allons-y maintenant
X : C'est une idée fixe !
I : C'est ta solution. Alors on saute ?
Y : Qui se dénude le premier ?
X : Moi j'y vais
E : Pas moi
V : Tout de suite ?
N : Attend, Attend quoi ?
E : Et si on se poussait, ton dos contre mon dos
X : Laisse toi tomber maintenant
M : Jamais. Tu as peur de quoi, de vivre ?
V : Alors tues toi !
Y : De mourir, de sentir
N : De ressentir, de voir, d'être impuissant, du manque, de l'horizon bouché
Y : Du vide, du banal
I : De l'amour et de la vulgarité, de la publicité avec des femmes nues, des métros bondés…
V : De la routine ?
X : Du masque ?
N : De l'ennui ?
I : Arrêtez de vous plaindre
N : On est conscient, on ne se plaint pas.
I : On parle de nous pour une fois,
N : Voilà ! Ce qui sauverait l'humain c'est de parler de soi.
E : Ou de se taire
V : Tu aurais mieux fait de taire ! Tout le monde est éteint maintenant
X : Alors on part
I : A demain
Y : A plus tard
E : Ciao ciao
N : Je t'aime.
© Eva Beninato, Mandy Biamoko, Xavier Daniele, Marie-Pierre Deloeil, Emilien Lafforgue, Marion Leleu - écrit le 17/11/2021