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Le Poids des Mots

Je suis à la Roche-Posay, haut lieu de cure.

C’est long une cure thermale … très long !

Une amie m’informe d’un concours de nouvelles parrainé par Franck Thilliez.


Contrainte : le texte doit commencer par le début de la nouvelle policière de Franck Thilliez.

Franck Thilliez, ce n’est pas mon style, mais cela m’a amusé.

Je n’ai pas envoyé ma nouvelle ; je le regrette.



Le glissement de l'eau contre les rochers, juste là. Un cri de rapace plus lointain, repris en écho par les parois abruptes des gorges. Bruit de verre brisé, aussi, lorsque Léa bascule sa tête sur le côté. Des débris de vitres en miettes glissent dans son cou, ses cheveux, le long de ses cuisses fines et bronzées. Elle en a même sur les lèvres.

Ouvrir les yeux demande un terrible effort. Son monde, autour, se résume à un cube de tôle repliée, de plastiques déchiquetés. Les airbags ont explosé. La géométrie intérieure de l'habitacle automobile ressemble à une figure improbable, un monde d'arêtes et de creux dans lequel il aurait été impossible de faire entrer un être humain. Sauf que là, les êtres humains étaient déjà à l'intérieur. (texte de Franck Thilliez)


Léa perçoit sourdement le bruit d'une sirène. Elle veut redresser la tête, ne le peut. Elle se force à garder les yeux ouverts. Dans son angle de vue des arbres bizarrement inclinés, un coin de ciel bleu, un nuage blanc. Le bruit de sirène se rapproche, devient strident. Léa voudrait qu'il s'arrête. Il s'arrête.

Des portes de voiture qui claquent, des pas précipités, des voix d'hommes pressés. Léa ne peut pas les voir, ne comprend pas, ne comprend rien. Soudain, de son côté, elle entrevoit la silhouette d'un homme. Il essaie avec force d'ouvrir ce qui fut une porte. Il appelle du renfort. Sa voix sonne l'urgence. Léa se sent sombrer dans la torpeur. Elle tente de s'y arracher, ouvre les yeux. Un policier est à ses côtés.

"Ça va aller Madame, on va vous sortir de là, tous les trois. Ne vous inquiétez pas, on est là. Les ambulances viennent d'arriver"

Léa ne comprend pas. "Où suis-je ? Que s'est-il passé ?"

Le policier est très calme, poli, efficace.

"Sur la route des Gorges, Madame. Une course poursuite, une course insensée. Nous avons été prévenus par plusieurs personnes. Nous allons d'abord nous occuper de vous. Vous pouvez bouger ?"

Oui, Léa peut bouger; difficilement, douloureusement, mais elle peut. Extraite de la voiture, allongée sur un brancard, elle prend alors conscience de ce qu'a dit le policier. "Tous les trois". Soudain, tout lui revient.

L'arrivée à l'hôtel avec Franck, la courte attente dans le hall de réception, la poignée de mains chaleureuse, le sourire radieux, et la proposition inattendue, impensable, "Si on allait au Point Sublime, ma voiture est juste là ?".

Léa s'agite, s'alarme : "comment vont-ils ? - chut, chut, calmez-vous". L'ambulancier lui injecte un antalgique puissant. Léa sombre rapidement.

Semi-réveillée, Léa constate qu'elle est à l'hôpital, seule dans une chambre, le cou dans une minerve, la tête bandée, des tuyaux de perfusion aux bras. Faiblement elle appelle. Rien ne survient. Ses pensées tournoient. Qui ? Et Franck ? Et lui ? Où sont-ils ? A-t-on prévenu quelqu'un ? Son patron est-il au courant ?

Il faut qu'elle sache. Elle tente de se lever mais n'a aucune force. Ses jambes ne la portent pas.

Des mois qu'elle est sur ce sujet. Des mois qu'elle cherche à le contacter, à le rencontrer. Tout remonte à ce jour de février avec sa venue en France pour une interview. Une de ses très rares interviews. Léa saisit l'occasion, força le destin, et parvint à le contacter.

"Je connais votre réputation. D'accord" avait-il dit de sa voix à l'accent chantant, mais pas ici. Je pars prendre un peu de repos et corriger mes dernières épreuves. Venez dans 3 semaines. Je vous communiquerai le lieu. D'ici là, pas de contact s'il vous plaît".

3 semaines, 3 semaines d'attente insupportable, 3 semaines à passer de l'excitation à l'anxiété. Allait-il vraiment la rappeler ?

Léa avait demandé Franck, le meilleur de toute la bande. Son patron avait dit oui. Lui aussi espérait cette rencontre.

Franck ? - comment va-t-il ? - où est-il ? - pourquoi n'est-il pas avec elle ?

Elle appelle de nouveau, avec plus de force. Cette fois-ci, la porte s'ouvre. Un médecin entre suivi de deux officiers de police.

"Bonjour Madame, je suis le docteur Niève. Vous êtes ici depuis hier 16h. J'ai de bonnes nouvelles vous concernant. Vous avez de multiples entailles à la tête à cause des vitres brisées, mais sans grande gravité. Nous avons juste recousu. Quant à votre cou, il vous faudra porter la minerve pendant 20 jours. Un coup du lapin. Vous resterez ici encore 48 heures. Ensuite, en ce qui me concerne, vous pourrez rentrer chez vous. Ces messieurs veulent vous parler. Je leur accorde 15 minutes, pas plus. Vous avez besoin de repos, le choc a été rude".

"Et Franck ? Et … et l'autre personne ? demande anxieusement Léa, comment vont-ils ?"

- Je suppose que Franck était le passager à l'arrière. Le pronostic vital n'est plus engagé, mais le traumatisme crânien est important et nous le gardons sous surveillance constante. Je reviendrai vous donner de ses nouvelles plus longuement. Ne vous inquiétez pas. Quant à l'autre passager, le conducteur devrai-je dire, voyez avec ces messieurs. Je ne peux rien vous en dire. Je suis désolé. Au revoir Madame, à tout à l'heure. 15 minutes, messieurs, pas plus. Madame a besoin de se reposer.

Le médecin sort et ferme la porte. Les 2 officiers s'assoient.

Léa n'ose pas les regarder. Elle lisse le drap de son lit de sa main droite.

L'un des officiers prend la parole. "Madame, Vous êtes Léa Baracco, journaliste-reporter et vous avez été victime d'un accident de voiture suite à une course poursuite. Cela n'est pas dû au hasard et j'imagine que vous le savez fort bien. Nous aimerions entendre votre déposition".

Léa grimace. Que dire ?

"Dites-moi d'abord comment vont … mes compagnons ?

- Le médecin vous l'a dit : Mr Franck Thilliez, photographe de son état, est aux soins intensifs mais sa vie n'est plus en danger. Quant à l'autre personne dans la voiture, elle a été conduite dans un hôpital militaire sous escorte.

Venons-en aux faits s'il vous plaît, le temps presse.

- Dîtes moi au moins s'il est toujours vivant supplie Léa.

- Oui; pour le moment. Maintenant à vous de nous parler. Dans quelles circonstances l'avez-vous rencontré ? - où alliez vous ? - pour quoi faire ? - avez-vous remarqué quelque chose de particulier ? - tout détail a son importance. Cela peut recommencer à n'importe quel moment. Mr Thilliez n'est pas encore en état de répondre à nos questions, ni …."

Léa se mord les lèvres mais elle sait au fond d'elle-même qu'il a raison. Le risque est trop grand. Ils avaient voulu l'ignorer. Cela faisait déjà tant d'années écoulées. Comment croire que cela pouvait encore arriver ? Mais l'évidence est là : elle, Franck, et lui venaient d'échapper miraculeusement à un attentat.

Adieu son grand reportage. Jamais on ne la laisserait publier ce qui venait d'arriver. Au nom de sa sécurité à lui. Et elle ne pouvait que s'y résigner.

"J'avais rendez-vous à 15h pour mener une interview et prendre des photos. J'en ai eu confirmation 48 heures avant. C'est sur son initiative que nous sommes partis en voiture vers les Gorges.

Cela fera de très belles photos disait-il. Regardez comme il fait beau, j'aime cette région. Passons par le Point sublime, la vue est si belle de là-haut".

Nous étions détendus, il me demandait quand serait publié le reportage.

Et puis soudain une voiture s'est collée à nous et ne nous a plus lâchés.

- Quelle voiture ? Quelle couleur ? Quelle marque? Combien de passagers dans la voiture ? Une ou plusieurs voitures ?

- Je ne sais pas exactement. Je me suis retournée pour regarder. Noire, je crois. Ils étaient deux, peut-être trois. Franck était à l'arrière, il pourra mieux vous dire peut-être.

- Continuez

- Salman s'est mis à accélérer pour les distancer et m'a demandé de téléphoner à la police en donnant son nom. Mais ….

- Mais ?

- Mais le temps que je trouve mon portable, la voiture nous avait rattrapés et heurtés violemment et le portable a roulé à mes pieds. J'étais paniquée. Je me suis baissée pour le ramasser. Salman n'arrêtait pas de donner des coups de volant violents pour échapper à nos poursuivants. Franck ne disait rien. En fait il était déjà inconscient, sans doute suite au 1er choc. Et puis …

- Et puis ?

- Salman a complètement perdu le contrôle du véhicule … je ne me souviens plus ensuite.

- Je vous en prie, faites un effort; c'est important. Pourquoi vos poursuivants ne sont-ils pas allés vers votre voiture ?

- Je ne sais pas, je ne sais pas. Vous m'avez dit avoir été prévenu par des témoins. Peut-être ont-ils eu peur. Peut-être ont-ils cru que nous ne pouvions qu'être morts. Je ne sais pas."

Léa sanglote à présent. La tension est trop forte.

On frappe à la porte. Une infirmière entre. "Messieurs, il est temps de partir. Les 15 minutes sont écoulées."

Les 2 officiers se lèvent pour quitter la pièce.

"Madame, reposez-vous. Nous reviendrons. Il reste trop de choses inexpliquées, en particulier comment êtes-vous entrée en contact avec Mr Rushdie, de quelle façon avez-vous obtenu ce rendez-vous avec lui ? Comment Mr Rushdie a-t 'il échappé à la surveillance de ses gardes du corps ? Avec votre complicité, celle de Mr Thilliez, celle de votre journal ? Qui était au courant de votre rencontre ?

Nous reviendrons. Au revoir Madame."


France Inter 21h45 - spécial flash d'information

"Nous venons d'apprendre la mort de Salman Rushdie suite à un attentat sur sa personne. Rappelons que Salman Rushdie faisait l'objet d'une fatwa depuis février 1989 suite à la publication de son livre "les Versets Sataniques", livre largement récompensé.

Aucun détail sur les circonstances de ce drame n'a été dévoilé. L'enquête est en cours.

En attendant plus d'informations sur ce terrible évènement, retour à l'émission A'live avec Pascale Clarke.


© Marie-Pierre Deloeil


© Mauro Canfori - créateur génial des étagères Teebooks

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