J’ai commencé un grand ménage. Je le fais une fois par an, pas forcément au printemps, pas forcément à l’automne, mais rarement en hiver. Grand ménage, cela veut dire escabeau, armada d’éponges, litres de savon noir, et une motivation qui ne flanche pas. A chaque fois c’est la même chose : je mets le bazar partout. Je n’arrive pas à faire un ménage pièce par pièce, la chambre, puis le séjour, puis le bureau, puis … Si je commence à laver les fenêtres de la chambre, je poursuis dans le séjour, le bureau, la cuisine, .... Et c’est là où ça devient le bazar.
Finalement le ménage c’est comme la comptabilité analytique : le faire par nature ou par destination ? Ceux qui font de la comptabilité analytique me comprendront ; pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, voici un exemple simplissime. Quand vous vous offrez un restaurant pendant les vacances, vous mettez cette dépense dans la catégorie "restaurants" qui est la nature de la dépense, ou dans la catégorie "vacances" qui est la destination ?
Or donc je disais grand ménage. Ce grand ménage qui insidieusement m’amène de la fenêtre du séjour à proximité d’une de mes grandes plantes, un beaucarnea recurvata, appelé aussi pied d’éléphant. Je remarque qu’il est temps de lui faire une coupe. Aussitôt pensé, aussitôt mis en œuvre (c’est ce genre de comportement qui provoque le grand bazar).
Cette plante je l’ai achetée en 1995 en Grèce. A cette époque-là je travaillais et j’habitais là-bas. Il a donc 25 ans, a connu 4 déménagements, s’y est très bien acclimaté, et mesure 1,80m de haut. Certes le tronc principal est fortement incliné, mais pour compenser un deuxième tronc a surgi. A l’opposé. La nature est bien faite. Ce serait plus simple que je mette une photo, mais je ne sais pas prendre de belles photos, ni même des photos de qualité suffisante. Je pioche sur internet (sauf pour mon leporello).
Mon beaucarnea est derrière un petit canapé qui appartenait à mes grands-parents maternels. Certaines de ses feuilles retombent en boucles sur ce petit canapé. Tout en lui coupant soigneusement le bout des feuilles je pense aux personnes que je reçois et qui s’assoient là. Forcément les feuilles leur tombent doucement dessus. Moi, j’aime bien me nicher là. J’imagine que ces feuilles sont mes cheveux. Je n’ai jamais eu les cheveux longs. Je joue avec cette idée. Je les ramène sur mes épaules, je les repousse en arrière. Cette rêverie habite-t'elle aussi mes invités ? Non seulement les femmes, mais aussi les hommes ? Ou alors, les feuilles de mon beaucarnea les gênent mais personne n’ose me le dire ?
Je coupe le bout des feuilles comme on coupe la pointe des cheveux. Je prends doucement une poignée de feuilles et je les examine soigneusement. Je coupe en biais ; jamais court, juste les pointes. Après, comme chez le coiffeur, je passe l’aspirateur. Après j’arrose. Si les pointes sont sèches c’est parce que le beaucarnea n’a plus assez d’eau pour innerver jusqu’au bout. Enfin, c’est comme cela que j’interprète les propos d’un fleuriste que j’avais
consulté.
J’ai senti l’envie d’écrire monter, comme une montée de sève. Alors j’ai laissé en plan l’escabeau, l’armada d’éponges, les litres de savon noir, et je me suis installée devant mon ordi. J’ai tapé sur Google "plante verte aux grands cheveux" car je ne me souvenais pas de son nom. Je n’ai eu que des images de longs cheveux. J’ai tapé "plante verte avec longues feuilles fines". J’ai trouvé Beaucarnea. J’ai tapé "beaucarnea". J’ai soigneusement examiné les images. J’ai un beaucarnea recurvata. J’ai raison de lui couper de temps à autre les pointes de cheveux.
© Marie-Pierre Deloeil